Audiovisuel : l’éco-production en tête d’affiche
« Urgence écologique », « changement climatique », « crise du climat ». La question environnementale est, à juste titre, aux lèvres de nombreux scientifiques, acteurs politiques et citoyens. En outre, les questions de l’énergie, du gaspillage alimentaire ou encore de la pollution de l’air ont pris de plus en plus de place dans le débat public. Dans le secteur audiovisuel français, la problématique environnementale a donné naissance au terme « éco-production ». Le synonyme d’une prise de conscience de la filière.
L’audiovisuel, de plus en plus gourmand en énergie ?
À l’échelle mondiale, les Accords de Paris sur le climat demandent une limitation de la hausse des températures entre 1,5° et 2°. En ce sens, la France s’est donc engagée à devenir neutre en carbone d’ici 2050. L’étape intermédiaire étant d ‘atteindre -40% d’émission de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2030, par rapport à 1990. Une telle résolution doit naturellement impliquer tous les secteurs de l’économie. Plus précisément, chaque secteur et notamment celui de l’audiovisuel devraient alors suivre un rythme de -2,16% d’émission de GES entre 2020 et 2030. Pourtant, force est de constater que selon l’industrie concernée, les avancées se font à vitesse variable.
Naturellement, les entreprises de l’audiovisuel ne sont pas épargnées. D’autant plus dans un contexte où un Français sur deux serait abonné à une plateforme de streaming et où le nombre de contenus vidéo ne cesse d’augmenter. Côté plateformes de streaming en VOD, l’offre est d’ailleurs exponentielle ces dernières années. Netflix, Amazon Prime, Disney +, OCS, Salto, My Canal, Apple TV +, Paramount +… Les plateformes se multiplient. Les usages quant à eux, se dirigent vers des pratiques très gourmandes en énergie. À titre d’exemple, la diffusion d’un programme en 8K nécessite le traitement de 32 fois plus de données que pour la Haute Définition.
Afin de faire un état des lieux de l’empreinte carbone de la filière audiovisuelle, une étude a donc été menée en 2020. Elle révèle que les secteurs de l’audiovisuel et du cinéma en France rejettent 1,7 million de tonnes de CO2 chaque année.
Face à ce constat, les professionnels du secteur ont donc entamé une réflexion sur les usages courants de la filière audiovisuelle et sur leur empreinte écologique.
Une réflexion commune du secteur pour faire face à l’urgence climatique
En 2009, L’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’énergie (ADEME), Audiens, DIRECCTE IDF, la Commission du Film d’Île-de-France, France Télévisions et le groupe TF1 créent ensemble Ecoprod. Ils se donnent alors pour mission de fédérer tous les acteurs du secteur et de les sensibiliser sur l’enjeu de leur impact environnemental. Leur but étant de faire avancer toute la filière vers plus de sobriété énergétique.
Cinéma, publicité, vidéo en streaming, télévision, archivages et projections d’œuvres sont autant de domaines ciblés par les messages d’Ecoprod et ses actions. Notamment, il est devenu essentiel de passer en revue chaque pratique en place. Sur les lieux de tournage d’une part, durant la postproduction ou encore lors de la diffusion des programmes. Il s’agit ensuite d’évaluer leur impact sur l’environnement.
Le développement d’outils pratiques pour encourager l’éco-production
C’est ainsi que l’une des premières actions majeures d’Ecoprod a été, en 2010, de mettre un nouvel outil à disposition des professionnels : Carbon’Clap. Cet outil leur permet de calculer leur empreinte carbone. L’objectif étant alors la prise de conscience du poids de chaque production audiovisuelle sur l’empreinte globale du secteur.
À titre d’exemple, une heure d’émission de flux à la télévision émet 10 tonnes équivalent carbone. La jauge passe à 20 tonnes pour un magazine d’information. Mais là où la note est la plus salée reste la réalisation de longs-métrages nécessitant de tourner sur plusieurs lieux. L’empreinte monte alors à 1000 tonnes équivalent carbone émises.
Naturellement, l’échelle de ces chiffres a fait réagir. Et plusieurs initiatives ont vu le jour, pour initier une démarche allant vers plus de sobriété énergétique dans le cinéma, la télévision ou encore la production de contenus digitaux. En outre, Ecoprod a présenté à Cannes en 2012, son « Guide de l’éco-production ». Ce dernier est conçu comme une feuille de route à destination des équipes gérant la réalisation de programmes audiovisuels. Le guide propose notamment des conseils pratiques pour limiter l’impact carbone et des fiches et checks-lists par métier.
Mais si un guide pratique est une aide bienvenue, l’urgence de la situation environnementale semble demander également des mesures plus contraignantes. En effet, le potentiel surcoût à l’échelle du budget d’une production audiovisuelle, pourrait être un argument ralentissant la progression du secteur.
L’éco-production : quelles incitations ?
C’est dans cette optique qu’a été promulguée, le 15 novembre 2021, une loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France. Pour ce texte, le législateur s’est inspiré des préconisations du rapport de la mission d’information sur l’empreinte environnementale du numérique. Ce dernier suggère en outre que si aucune action contraignante n’est mise en place, le secteur du numérique sera à l’origine de 24 millions de tonnes équivalent carbone d’ici 2040. Cela représenterait alors 7% des émissions du pays, contre 2% aujourd’hui.
La loi du 15 novembre 2021 (dite « loi REEN ») vise la prise de conscience, notamment via la formation des ingénieurs et la création d’un observatoire sur les impacts environnementaux du numérique. Elle cherche également à réduire le gaspillage en limitant le renouvellement des appareils numériques. Elle promeut des data centers et réseaux moins énergivores. Enfin, elle favorise des usages numériques écologiquement vertueux. Dans ce cadre, le Sénat avait voté un amendement imposant aux sites de streaming en VOD (vidéo à la demande) d’informer leurs utilisateurs de l’impact du visionnage d’une vidéo sur les émissions des gaz à effet de serre. Toutefois cet amendement a été remplacé par une simple recommandation de l’ARCOM (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, née de la fusion du CSA et d’Hadopi), à destination des fournisseurs de VOD.
Le rôle des subventions
De son côté, le CNC (Centre National du Cinéma et de l’image animée) a également pris part à l’action en décidant de mettre en place une « éco-conditionnalité » de ses aides financières, à partir du 1er janvier 2024.
Un bilan carbone prévisionnel devra alors être transmis au CNC, au stade du devis de production. Il devra couvrir les postes majeurs de dépense énergétique. Parmi eux, le transport, l’hébergement, les moyens techniques, la postproduction, les repas, la gestion des déchets etc.
Cette mesure structurante s’inscrit dans le « Plan Action ! Pour une politique publique de transition écologique et énergétique dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel et de l’image animée », du CNC.
Par ailleurs, d’autres initiatives cherchent à rendre la transition écologique encore plus attrayante pour les acteurs de la filière, en récompensant les initiatives les plus fructueuses. Par exemple, un certain nombre de festivals ont vu le jour. Parmi eux, les Deauville Green Awards, le Cinéma Green Lab des Arcs Film Festival, la Semaine du Cinéma Positif, le festival Atmosphères ou encore le festival Le Temps Presse.
Quel avenir pour l’éco-production ?
A l’aune de l’urgence climatique, Ecoprod apparaît alors comme la volonté du secteur à se doter d’un référentiel commun et d’une structure de référence.
En outre, Ecoprod s’est constituée en association en 2021, avec pour membres-fondateurs des acteurs majeurs de la filière audiovisuelle française. Y figurent le groupe France TV, le groupe Canal +, le groupe TF1, Audiens, la CST (Commission supérieure technique de l’image et du son), Film Paris Région. Ils sont notamment soutenus par le CNC ou encore l’Afdas. Plus de 420 sociétés sont d’ailleurs adhérentes aujourd’hui. Dans la même lignée se sont tenues le 13 décembre 2022 les premières Assises de l’Éco-production, à l’Académie du Climat, à Paris.
Toutefois, force est de constater qu’il n’existe pas encore d’environnement assez contraignant permettant d’assurer une évolution constante vers plus de sobriété énergétique dans le secteur. Cependant, comme en témoigne Baptiste Heynemann, chef du service des industries techniques et de l’innovation au CNC et membre Ecoprod :
« Pour un producteur, ne pas entamer cette démarche, c’est prendre un risque de plus en plus grand : à terme, les obligations européennes vont imposer l’écoresponsabilité sur tous les tournages en France. Ceux qui auront déjà entrepris la démarche auront une grande avance, tandis que les autres vont être confrontés à un mur de réformes. »
© EMIC Paris – Marion Duchemin – 15 février 2023