Cinéma : quel avenir pour les salles ?
Avec 152 millions d’entrées, les salles de cinéma françaises ont vu revenir en nombre les spectateurs en 2022, même si elles peinent encore à retrouver leur niveau de fréquentation d’avant crise.
Quel impact a eu la pandémie de Covid-19 ? Quelle concurrence avec les plateformes de vidéo à la demande ? Focus sur l’avenir des salles de cinéma à l’ère des nouvelles habitudes de consommation culturelle.
2022, une année de transition pour le cinéma, toujours marquée par la pandémie
En augmentation de 59,2% par rapport au précédent exercice, le nombre d’entrées en 2022 reste en retrait de 26,9% par rapport à la moyenne de la période pré-Covid, de 2017 à 2019, selon le rapport du 2 janvier 2023 publié par le CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée).
Il faut dire que 2022 n’a pas commencé de la meilleure des manières pour les exploitants de salle. Si elle n’a pas été perturbée par une nouvelle fermeture des salles, elle a toutefois débuté avec des restrictions sanitaires (pass vaccinal exigé et interdiction de ventes de pop-corn et confiseries) qui n’ont été levées que le 14 mars, suite à la vague du variant Omicron. De nombreux distributeurs avaient alors préféré décaler leurs sorties, laissant une offre de films porteurs insuffisante par rapport à celle des années pré-Covid.
En septembre 2022, les salles de cinéma enregistraient seulement 7,38 millions d’entrées, soit le plus bas niveau atteint depuis plus de 40 ans. De quoi susciter de l’inquiétude, même si la fréquentation est repartie à la hausse sur les mois d’octobre, novembre et décembre.
En effet, le cinéma français repose sur un système de financement unique au monde. Au cœur de cette économie ? La taxe spéciale additionnelle (TSA) de 10,72% qui est prélevée sur chaque ticket vendu et réinvestie dans la production cinématographique nationale. Du fait de la baisse des fréquentations depuis deux ans, cette taxe a été fragilisée, ce qui pourrait menacer la création puisqu’elle n’a permis de récolter que 29 millions d’euros en 2020 et 57 millions d’euros en 2021, contre 154 millions d’euros en 2019.
Le cinéma tricolore réalise une des meilleures reprises au monde
La France demeure cependant le premier pays européen en termes de fréquentation. Selon les estimations de Comscore, fin novembre 2022, l’Italie enregistrait une baisse de fréquentation de 52.7% et l’Espagne de 40,7% par rapport à la moyenne 2017 à 2019, contre 27,5% pour la France à cette période. Les recettes du box-office américain chutaient pendant ce temps de 33.8%.
Et si certains se sont un peu inquiétés de l’absence du cinéma français dans le Top 10 du box-office en 2022 (une première depuis 1945 !), le cinéma tricolore a pourtant enregistré 62,2 millions d’entrées. Soit une part de marché de 40,9%, supérieure à celle de son homologue américain (40,5%).
Ces résultats encourageants s’expliquent d’un côté par le fait que les films américains se font plus rares sur les écrans depuis la pandémie. 68 films américains sont sortis sur l’année écoulée, contre 127 films en moyenne chaque année sur la période 2017-2019. Un certain nombre de blockbusters porteurs sont également directement sortis sur les plateformes de vidéo à la demande.
Une offre de films riche et diversifiée
D’autre part, le nombre de films français inédits a retrouvé son niveau de 2019. Le cinéma français a de nouveau séduit les spectateurs par sa diversité. La comédie grand public Qu’est-ce qu’on a tous fait au Bon Dieu ? a emporté la mise avec 2,4 millions d’entrées, distançant de peu des œuvres ambitieuses comme Novembre (2,37 millions d’entrées), et Simone – le Voyage du siècle (2,33 millions d’entrées).
Pourtant, les films censés être les moteurs du box-office français peinent encore à atteindre les niveaux d’entrées espérés. Ainsi, bien qu’elle soit le plus gros succès français de l’année 2022, une comédie comme Qu’est-ce qu’on a tous fait au Bon Dieu ? reste loin des résultats obtenus lors des précédents volets, avec 12,4 et 6,7 millions d’entrées. Idem pour Rumba la vie : la comédie populaire de Franck Dubosc atteint les 300 000 entrées lorsque le précédent film du réalisateur, Tout le monde debout, avait attiré plus de 2,4 millions de spectateurs.
Alors comment expliquer cette baisse de fréquentation et inverser la tendance ?
Pourquoi les spectateurs vont moins souvent au cinéma ?
D’après l’étude « Pourquoi les Français vont-ils moins souvent au cinéma ? » réalisée par le CNC au mois de mai 2022, près de la moitié des spectateurs déclarent aller moins qu’avant, voire plus du tout au cinéma depuis la réouverture des salles le 19 mai 2021. Si les jeunes de 15-24 ans ont été plus nombreux à retrouver le chemin des salles que les 60 ans et plus et qu’une partie des actifs, les 25-59 ans n’ont pas renoué avec leurs habitudes de fréquentation d’avant la crise et leur fréquentation est devenue plus occasionnelle.
L’étude fait également ressortir que cette chute de fréquentation serait liée à un contexte de transitions multiples. Elle identifie 5 raisons majeures pour lesquelles les spectateurs déclarent aller moins souvent, voire plus du tout au cinéma depuis la réouverture des salles.
Certains facteurs sont conjoncturels et directement liés à la crise sanitaire :
- La perte d’habitude d’aller au cinéma est la première cause évoquée par 38% des Français interrogés. Cette perte d’habitude impacte directement la visibilité et l’envie d’aller au cinéma pour voir d’autres films. En effet, la bande-annonce au cinéma est la principale source d’information sur les films pour plus de la moitié des spectateurs.
- Le port du masque est également cité par 33% d’entre eux, arrivant en troisième place.
D’autres freins sont plus structurels et étaient déjà à l’œuvre avant la pandémie :
- La perception du prix du billet est en deuxième place, 36% évoquant un prix du billet de cinéma trop cher.
- La préférence pour d’autres supports est citée par 26% du panel et arrive en 4ème place, suite à l’essor des plateformes SVOD (Subscription Video On Demand) dès 2019, ensuite accéléré par la pandémie.
- Un manque d’intérêt pour les films sortis en salle : 23% déclarent qu’il y a peu ou pas de films qui leur aient donné envie d’aller au cinéma depuis la réouverture.
Plateformes svod : menace ou opportunité pour le cinéma ?
Depuis début 2020, les salles de cinéma ont connu une longue fermeture de 300 jours et une reprise marquée par une baisse significative de la fréquentation. En parallèle, la crise sanitaire a été un accélérateur de l’abonnement aux offres SVOD. 42% des abonnés SVOD déclarent avoir souscrit un abonnement à une ou plusieurs offre(s) de vidéo à la demande pendant la période de fermeture des salles de cinéma liée à la crise sanitaire ou depuis leur réouverture.
59% des abonnés SVOD vont autant ou plus souvent au cinéma
Afin de pouvoir mesurer la réalité du développement de ces plateformes de streaming, l’Association Française des Cinémas Art et essai a commandé l’étude « Les films et les séries sur les plateformes de streaming » à l’IFOP. D’après cette étude, il est rassurant de voir que 54% des abonnés à l’une des plateformes de SVOD n’ont pas changé leurs habitudes de fréquentation et déclarent aller au cinéma au même rythme qu’auparavant. 5% d’entre eux disent même y aller plus souvent depuis qu’ils sont abonnés à une offre de vidéo à la demande.
Néanmoins, 41% des abonnés à un service de vidéos par abonnement vont moins souvent au cinéma. Ou même plus du tout pour 12% d’entre eux, préférant avoir accès à de vastes catalogues de films sur les diverses plateformes sans avoir besoin de quitter leur canapé. Ce qui pousse de plus en plus de monde vers Netflix, Amazon Prime, Disney + et autres plateformes est principalement la souplesse du “on demand” : un choix à la carte, l’absence de publicités, de larges catalogues de films, ou encore ne pas avoir besoin de se déplacer.
L’étude met également en relief que l’essor de l’usage des services de streaming s’explique par l’intérêt grandissant du public pour les séries, ce qui n’est pas une concurrence directe des films. En effet, les niveaux de visionnement des séries sont très supérieurs à ceux des films. Les séries Netflix dominent largement le Top 10 des programmes les plus regardés par les abonnés, quand les films d’auteur sont nettement moins prisés. Regarder des films en salle et sur les écrans est donc loin d’être incompatible !
L’intégration des plateformes SVOD dans la production cinématographique et audiovisuelle française
En outre, l’instauration d’un nouveau décret encadrant les activités des services de médias audiovisuels à la demande (SMAD) fin 2021 oblige les plateformes étrangères à contribuer à hauteur de 20 % de leur chiffre d’affaires français dans la création hexagonale et européenne, dont 80 % pour la production audiovisuelle et 20 % pour le cinéma. Mais il faut aussi noter une véritable volonté de la part de certaines plateformes de s’inscrire dans les circuits traditionnels de production cinématographique.
Ainsi, le géant américain Amazon souhaite investir 1 milliard de dollars par an afin de produire entre 12 et 15 films par an qui sortiront dans les salles obscures, un rythme de production similaire à celui de grands studios de cinéma comme Warner Bros et Universal.
Nouvelle chronologie des médias : le cas de Netflix
De son côté, Netflix réclamait une meilleure position dans la chronologie des médias en échange de ses obligations de financement de la création. Pour mémoire, la chronologie des médias régit les dates auxquelles les films peuvent être diffusés, en ligne et à la télévision par exemple, dans les mois suivant leur sortie au cinéma. Jusqu’à aujourd’hui, Netflix, Amazon Prime Video, Disney+ ou AppleTV+ pouvaient diffuser un film 36 mois après sa sortie en salles.
En janvier 2022, un accord sur une nouvelle chronologie des médias a été conclu : en fonction de la contribution des plateformes à la production cinématographique, elles peuvent diffuser des films entre 15 et 17 mois après leur sortie contre 36 jusqu’ici, passant devant les chaînes de télévision gratuites. En échange d’engagements supplémentaires, les films pourront ainsi être diffusés 15 mois après leur sortie en salle sur Netflix, contre 17 pour ses consorts.
Début 2022, la plateforme s’était en effet engagée à produire au moins 10 films par an et à investir en moyenne 40 millions €, soit 4% de son chiffre d’affaires annuel réalisé en France. Au final, elle a accompagné 19 longs métrages en 2022 et le montant de ses investissements devraient atteindre 50 millions pour 2023, signe de la volonté de Netflix d’aller au-delà de ses engagements auprès de la filière.
Les leviers de reconquête du public
La crise serait-elle constitutive du cinéma ? Il y a 70 ans, la couverture de Paris Match dressait déjà l’éloge funèbre du cinéma sur grand écran, au profit de la télévision alors en plein essor aux États-Unis depuis la fin des années 1940. Le sujet est donc loin d’être nouveau, même si l’histoire montre que les salles de cinéma ont toujours survécu aux innovations : hier à la télévision, puis au DVD et Blu-Ray, et aujourd’hui aux plateformes.
Avec l’appui du CNC, les professionnels travaillent déjà aux moyens de faire revenir les spectateurs dans les salles et retrouver les niveaux de fréquentation d’avant crise.
Redonner le déclic au public
L’étude réalisée par le CNC « Pourquoi les Français vont-ils moins souvent au cinéma ? » est d’ailleurs riche en enseignements sur les leviers d’action pour reconquérir le public. Elle analyse les motivations des spectateurs qui fréquentent autant, voire plus souvent les salles de cinéma. À 51 %, c’est tout simplement l’envie de voir un film, en particulier pour les 35 ans et plus et les non-abonnés à une plateforme SVOD. Suivent les conditions optimales de son, d’image et de confort proposées dans les salles de cinéma (37%), l’envie de partager un moment collectif avec ses amis, en famille ou en couple (36%), et le fait de profiter d’un loisir hors de chez soi qui brise la routine du quotidien (34%). 10% environ mentionnent également l’envie de profiter d’un film tout en mangeant du pop-corn et autres confiseries, ou encore le partage d’émotions avec des inconnus.
Interrogés sur les événements qui leur redonneraient envie d’aller au cinéma, 24% des spectateurs déclarant aller moins souvent ou plus du tout au cinéma mettent en avant des évènements proposant des tarifs réduits, et tout particulièrement les 35-59 ans étant abonnés à une plateforme. 11% souhaiteraient des évènements autour de la salle de cinéma (séance de cinéma suivie d’un débat, rencontre avec un professionnel du cinéma…) et 10% des évènements autour des films (avant-première en présence de l’équipe du film, festivals…).
Entre une réflexion à mener sur l’offre en salles, une expérience sociale à revaloriser, notamment face aux plateformes SVOD, et des offres tarifaires, des leviers pour recréer les habitudes du public existent donc bel et bien.
Le CNC s’est d’ailleurs associé avec les organisations professionnelles pour mener une grande campagne de communication sur le thème « On a tous une bonne raison d’aller au cinéma ». Son objectif : toucher les gens qui vont moins au cinéma pour redonner au public le déclic et des habitudes de fréquentation. Du 26 octobre au 20 novembre 2022, cette campagne de communication de soutien au cinéma a été diffusée à la fois à la télévision, en salles, et sur les réseaux sociaux, accompagnée du hashtag #MaBonneRaison.
Éclaircie à l’horizon pour les salles obscures
À l’aube d’une année 2023 prometteuse en termes de programmation, la Fédération Nationale des Cinémas Français (FNCF) se veut quant à elle optimiste, comme en atteste le Délégué Général, Marc-Olivier Sebbag :
« Cette dynamique positive devrait se poursuivre tout au long de l’année 2023, grâce à une offre de films dense et diversifiée permettant de renouer progressivement avec les niveaux d’avant la crise sanitaire. Blockbusters internationaux, films français grand public, films d’auteur américains, ou films art et essai, les cinémas offriront à nouveau tout au long de l’année une proposition cinématographique riche et pour tous les spectateurs. Les Français pourront alors réaffirmer leur amour du cinéma en salle et demeurer plus que jamais le premier public du cinéma en salle en Europe ».
© EMIC Paris – Emilie Bardalou – 31 janvier 2023