Audiovisuel

Jeux télévisés : entre succès installés et quête de renouveau

Koh-Lanta, Fort Boyard, N’oubliez pas les paroles… Les jeux télévisés sont devenus des incontournables du paysage audiovisuel français. Des formats installés ont réussi à fidéliser les téléspectateurs depuis plusieurs années, voire plusieurs décennies. Toutefois, dans un secteur audiovisuel en constante évolution, les chaînes doivent renouveler leur offre de programmes pour répondre aux attentes des téléspectateurs et conquérir de nouveaux publics. Mais alors, comment s’y prendre pour proposer de nouveaux jeux qui se démarquent ?

Des mécaniques de jeu solides qui résistent au temps

Les jeux télévisés sont populaires pour une raison : ils sont basés sur des mécaniques de jeu solides qui ont fait leurs preuves. C’est pourquoi certaines marques installées sont à l’antenne depuis de nombreuses années : Tout le monde veut prendre sa place depuis 2006 et N’oubliez pas les paroles depuis 2007 sur France 2, Les 12 coups de midi depuis 2010 sur TF1, ou encore, côté jeux d’aventures, Fort Boyard depuis 1990, ou Koh-Lanta lancé en 2001.

La mécanique correspond à une description détaillée des règles du jeu et le déroulement de celui-ci, du début à la fin. Elle définit les défis, l’attribution des victoires remportées par une équipe ou un concurrent, le fonctionnement des éliminations, le gain, les sanctions en cas de non-respect de ces règles…. Ces règles du jeu basées sur la structure mécanique de l’émission sont la base essentielle qui servira au producteur pour les nombreux documents inhérents à ce type de production. Elles précisent les spécificités de chaque aspect du jeu et serviront de base de travail à tous les membres d’une équipe de production : contrats avec les partenaires, ventes à d’autres clients, adaptations, communication, affaires juridiques, comptabilité, etc.

L’EXEMPLE DES JEUX D’AVENTURE KOH-LANTA ET FORT BOYARD

Par exemple, le format Survivor (Koh-Lanta en France), créé dans les années 80 par le producteur anglais Charlie Parsons, a été produit pour la première fois par un groupe scandinave en 2000. Ce succès s’est ensuite vendu dans de nombreux pays (dont les États-Unis et la France) et est devenu le succès international que l’on connaît aujourd’hui. Fort Boyard, conçu par Jacques Antoine en 1989, a également connu un succès international en étant vendu dans plus de 50 pays à travers le monde. C’est d’ailleurs le producteur de l’émission Denis Mermet qui a inventé le terme de “jeu d’aventure” en 1989 qui n’existait pas jusque-là !

La peur et la survie...

“Le succès de ces deux formats réside dans deux éléments fondamentaux qui nous attirent tous et dans lesquels tout le monde peut s’identifier, à savoir la peur et la survie, avec des mécaniques de jeu simples, efficaces et faciles à comprendre. Ces mécaniques créent toutes les dynamiques nécessaires à ce genre d’émission de divertissement : dépassement de soi, aventure, exotisme, émotions fortes, défis physiques et intellectuels, stratégies, solidarité, victoires et défaites, dilemmes moraux, fantaisie…” explique Matt Mather, producteur artistique de ces deux émissions et intervenant à l’EMIC.

DES SUCCÈS QUI DÉPASSENT LES FRONTIÈRES

Une partie du succès international réside également dans la capacité des producteurs à adapter les formats en fonction de leur public. En effet, lorsqu’un pays achète le format, il peut très bien vouloir adapter les règles du jeu à son public. Ces modifications doivent être approuvées par les détenteurs des droits et sont suivies de près afin de protéger la marque, mais le produit final peut être très différent selon les pays et les cultures. Les éléments de base doivent ainsi rester les mêmes, mais la structure des émissions diffère énormément d’un pays à l’autre, qu’il s’agisse de la durée de l’émission, du nombre de candidats, le montant des gains….

Cette adaptation constante des mécaniques de jeu est fondamentale pour la longévité d’un format. Toujours selon Matt Mather, “Faire évoluer les règles et renouveler les idées est essentiel dans un monde où tout va très vite, comme on a pu le voir avec Fort Boyard, où le producteur artistique Guillaume Ramain a su donner un souffle nouveau à l’émission. La concurrence comme l’économie sont de plus en plus rudes et les modes de consommation changent radicalement, surtout chez les jeunes générations qui ont grandi avec ces formats”.

Les défis de la création de nouveaux formats de jeux télévisés

Inconvénient à la popularité de certains jeux télévisés : il y a moins de place pour proposer de nouveaux formats. Selon Jean-Michel Salomon, président de la Société des auteurs de jeux (Saje) et créateur de Tout le monde veut prendre sa place et Slam, « quand un jeu fonctionne, les chaînes n’ont pas forcément de raison de s’en séparer pour mettre autre chose ». Faire émerger de nouveaux formats reste ainsi difficile. « Les jeux programmés en quotidienne sont vraiment des programmes d’habitude », explique Fiona Bélier, directrice générale de La Fabrique des Formats, surtout que la France “s’est faite une spécialité des jeux feuilletonnants, avec des champions qui restent, qui cumulent des victoires et accumulent des records, et dont on suit un peu les aventures.”

Par ailleurs, si des succès emblématiques comme Tout le monde veut prendre sa place et Slam sont des créations tricolores, la plupart des nouveaux jeux télévisés sont des adaptations de formats étrangers. Cette tendance rassure les chaînes qui sont de plus en plus frileuses et qui préfèrent minimiser le risque d’audience en choisissant des formats ayant déjà fonctionné à l’étranger. En effet, la chaîne suppose qu’une émission ayant été populaire dans un ou plusieurs pays étrangers connaîtra également du succès en France. Toutefois, cela ne garantit pas le succès, comme en témoignent les échecs récents de La course des champions sur France 2 ou de Show Me Your Voice sur M6.

DE L’IMPORTANCE DU CONCEPT…
Créer un nouveau format de jeu télévisé est donc un défi de taille, à la fois en termes de créativité et de coûts. Les producteurs doivent non seulement trouver une mécanique de jeu innovante et accrocheuse, mais également un concept qui saura captiver et fidéliser le public. Le concept donne un aperçu fondamental de l’idée et précise notamment le cadre, les candidats, le jeu et le but. Par exemple, pour Koh-Lanta, les mots-clés sont ainsi très clairs dès la première phrase. « 16 candidats comme vous et moi vont devoir survivre à l’enfer au paradis, naufragés volontaires sur une île déserte, loin de tout. Survivre aux éléments, mais surtout survivre aux autres. Remporter des défis… se surpasser. À la fin il n’en restera qu’un pour remporter la victoire de 100 000€”, rappelle Matt Mather.

Ce challenge est d’autant plus difficile qu’aucun nouveau format de jeu télévisé n’a vraiment percé à l’international depuis l’arrivée de Mask Singer. C’est pourquoi les chaînes ont tendance à capitaliser sur d’anciens succès : par le passé, TF1 a notamment remis à l’antenne Une famille en or et C8 a relancé A prendre ou à laisser et Le Maillon faible. Selon Jean-Michel Salomon, « Comme cela peut prendre un ou deux ans pour régler la mécanique d’un jeu, il est plus simple de faire revenir d’anciens succès”. Certains producteurs tentent malgré tout d’inventer des formats originaux, mais c’est évidemment bien plus risqué en termes d’audience, les chaînes sont donc plus difficiles à convaincre dans ces cas-là. Selon une étude annuelle sur la production audiovisuelle réalisée par le CSA, seule une idée sur 15, 50 voire 70 serait ainsi acceptée par la chaîne.

Le rôle de France Télévisions dans la création de nouveaux jeux télévisés

En tant que service public, France Télévisions a un rôle important à jouer dans la création de nouveaux formats de jeux télévisés. La chaîne a un mandat de création et de diffusion d’émissions originales, et est donc souvent à la recherche de nouvelles idées pour renouveler son offre de programmes.

France Télévisions a d’ailleurs lancé un appel à projets pour la création d’un nouveau jeu télévisé d’aventure en vue des Jeux Olympiques de Paris. Le groupe a également récemment lancé deux nouveaux jeux : Chacun son tour sur France 2 et Duels en famille sur France 3. Ces programmes ont été créés en collaboration avec des producteurs français, témoignant du soutien de la chaîne à la création nationale.

À la différence de France Télévisions, les chaînes privées ont plus de mal à proposer de nouveaux formats et la place des jeux semble s’être réduite. En effet, TF1 a notamment supprimé sa case d’access prime time au profit de son feuilleton quotidien Demain nous appartient. Toutefois, de nouvelles émissions ont pu être diffusées en première partie de soirée ou en deuxième partie de soirée, notamment la création 100 % française Et alors ?, portée par l’animateur Camille Combal.

En conclusion

Nous avons vu que le succès de certains programmes tels que Koh-Lanta, Fort Boyard ou Tout le monde veut prendre sa place repose sur des mécaniques de jeu simples et efficaces qui sont capables de résister au temps. Cependant, faire émerger de nouveaux formats s’avère difficile en raison de la préférence des chaînes pour les émissions installées et l’adaptation de formats étrangers. Les producteurs doivent ainsi trouver des mécaniques de jeu innovantes et accrocheuses, tout en captivant et fidélisant les téléspectateurs.

Dans ce contexte, Matt Mather, producteur artistique de Koh-Lanta et Fort Boyard, joue un rôle essentiel à l’EMIC pour préparer les étudiants du MBA Manager des Industries Audiovisuelles à relever les défis de la production de programmes de flux. Lors de ses cours, il aborde toutes les phases de la production d’un jeu d’aventure : comment trouver l’idée, comment pitcher et emmener ses idées jusqu’au bout de la production, jusqu’à la livraison à la chaîne, avec pour objectif de leur donner les clés pour inventer les programmes de demain.

© EMIC Paris – Emilie Bardalou – 14 juin 2023