De The Crown à Baron Noir : les tournages éco-responsables en pratique
Nous vous parlions il y a quelques semaines des initiatives du secteur audiovisuel français en matière d’éco-production. Mais concrètement, rendre les tournages éco-responsables, qu’est ce que cela implique ?
De la lumière aux décors, de la restauration aux transports, le tournage d’une œuvre audiovisuelle demande une organisation complexe. De multiples corps de métier sont impliqués et chaque étape nécessite une remise en question approfondie, pour plus de sobriété énergétique.
Un grand nombre de guides a donc vu le jour pour aider les professionnels de l’audiovisuel à comprendre quelles actions concrètes ils peuvent mener pour verdir leurs productions.
Ces guides pratiques cherchent à apporter des solutions concrètes pour chaque étape et chaque aspect du tournage.
Des guides pratiques pour des tournages éco-responsables
L’initiative EcoProd dont nous vous parlions dans un article dédié a mis à disposition des professionnels, un Guide de l’Ecoproduction ainsi que des fiches pratiques par thématique. Ainsi, chaque corps de métier, des lumières au maquillage, dispose d’outils pratiques et concrets pour effectuer sa transition écologique.
Les conseils prodigués par Ecoprod sont en effet practico-pratiques. On y retrouve par exemple une astuce pour étouffer les bruits de pas sans passer par de la moquette, onéreuse et surtout peu écologique. C’est simple, il suffit de coller des talonnettes de mousse directement sous les chaussures des acteurs et des collaborateurs. Encore fallait-il y penser !
Chaque fiche permet également d’y voir plus clair sur les divers écolabels et indications, normes ou classification permettant de consommer plus vert.
Les enjeux écologiques d’une production ne s’arrêtent naturellement pas au tournage et commencent même avant. Ecoprod dédie d’ailleurs l’une de ses fiches pratiques à la postproduction et étudie dans le détail jusqu’à l’impact du choix des data centers. Idem pour Green Film Wallonia, initiative Belge qui réunit plusieurs acteurs de la filière audiovisuelle wallonne et propose un guide de soutien aux productions durables. Y figure notamment une check-list permettant d’anticiper les besoins en énergie et ressources du tournage et de la post production.
Film Paris Région, dont le rôle est d’animer, promouvoir et accompagner la filière image en Ile-de-France, propose quant à elle une fiche technique exclusivement consacrée aux feuilles décor. Il s’agit de panneaux de bois constituant majeure partie des décors de cinéma. Ces feuilles décors représentent donc une part importante de l’empreinte carbone des productions.
Les décors : responsables de 20% des émissions de CO2 de la filière
Sur un tournage, 1/5e de l’impact carbone généré provient des décors, selon une étude Ecoprod de 2010. Ecodéco Ciné, un collectif de professionnels décorateurs, en association avec Film Paris Région, a donc effectué un sondage sur une cohorte de professionnels du décor pour mieux comprendre les pratiques de la décoration de cinéma et de l’audiovisuel.
Il en ressort que l’enjeu est non seulement celui de leur conception et de leur production mais aussi de leur destruction. L’étude semble conclure que le plus grand frein à des solutions éco-responsables pérennes est l’aspect souvent expérimental et prototypal de la conception des décors sur un tournage. Les nombreuses initiatives d’accompagnement des productions visent donc à créer des bonnes pratiques qui puissent être partagées à travers la filière
Le CNC rappelle d’ailleurs que le poste décoration peut représenter jusqu’à 40% de l’impact écologique du tournage. Il invite donc naturellement lui aussi à modérer son utilisation et à miser sur la réutilisation des matériaux, notamment en promouvant des décors écoconçus, c’est-à-dire fait pour se coller et se décoller.
Du choix du bois – ou de fibres pour le remplacer – aux techniques de réutilisation et de recyclage, l’éco conception des décors est une expertise désormais développée par de nouveaux acteurs comme le studio Ecofilm.
Côté studios également, les lieux s’équipent à l’instar de Provence Studios, qui propose une approche du tournage et du décor soucieuse de son environnement (panneaux photovoltaïques, récupération d’eau de pluie, ruches…).
On observe d’ailleurs un retour des productions en studio, comme cela a té le cas pour Animaux Fantastiques : Les Crimes de Grindelwald (Warner), dont l’histoire se déroule à Paris mais qui a été film à Londres, après avoir scanné les monuments parisiens et réintégrée chaque lieu dans le film. Outre l’avantage financier, ce genre de pratiques permet de ne pas déplacer toutes les équipes et les comédiens et permet donc des économies en émissions carbone sur les transports.
Les productions éco-responsables se multiplient
Plus encore que les Animaux Fantastiques, d’autres productions majeures de ces dernières années se sont également distinguées par leur souci de respecter l’environnement lors de leur production. C’est le cas notablement de la série multi-récompensée The Crown. Dès sa première saison, la série a été pensée et conçue avec l’aide d’une société de conseil et de formation en réduction de l’empreinte carbone : Greenshoot. La production a été pensée dans l’objectif de rendre la dernière saison neutre en émission carbone. Avant d’arriver à ce stade, les saisons précédentes ont été travaillées pour respecter les standards vert puis or du programme Green Screen Environmental Production. A chaque épisode, une estimation de 26000 bouteilles en plastique ont pu être économisées, et de larges améliorations se sont faites ressentir dans les départements des costumes ou des décors. Il en est de même pour les transports par exemple, l’équipe ayant voyagé à Paris en train et non en avion, pour les épisodes tournés dans la capitale française. Cela aurait permis d’économiser 95% d’empreinte carbone sur le poste transports.
Côté production française, la série Baron Noir a elle aussi été conçue et produite avec l’aide d’une société de conseil en tournages éco-responsables. En outre, tout élément à usage unique a été supprimé sur le tournage, comme les bouteilles ou couverts en plastique. Une importante communication a été réalisée sur site afin de sensibiliser au tri des déchets et à leur réduction. Pour ceux qui restaient inévitables (cartons, papiers, paille etc.), ils étaient revalorisés et réintégrés dans l’agriculture (engrais, méthanisation). Les ressources telles que le bois étaient d’ailleurs issues de recycleries plutôt qu’achetées neuves. Quant aux entreprises partenaires de ces tournages éco-responsables, elles ont été choisies pour leurs vertus éthiques également, à l’instar d’Elise, une société qui recycle les déchets du bureau et emploie une majorité de travailleurs handicapés.
La transition écologique de l’audiovisuel accompagnée par de nombreux acteurs
Avec la multiplication des productions écoresponsables est donc né un nouveau métier : celui de référent développement durable, « sustainable manager », ou encore « green manager ».
En complément des guides, le nombre de formations grandit également, afin de former tous les acteurs de la filière. C’est le cas par exemple avec La Fresque du Film, qui sensibilise les professionnels aux problématiques environnementales, via des ateliers sur le modèle de la Fresque du Climat.
The Media Faculty, centre d’orientation des carrières de l’audiovisuel accompagne également les professionnels sur les mutations du secteur et leur propose un module sur la Production éco-responsable.
La Commission supérieure technique de l’image et du son propose, elle, des certificats « Eco-responsabilité en régie et gestion de production », « éco-responsabilité en décors » ou encore un cycle transition écologique.
Et si les guides et les formations ne suffisent pas toujours à prendre à bras-le-corps la question de la transition écologique au sein d’une production, des société spécialisées dans l’accompagnement et le conseil voient le jour. C’est le cas de la société Secoya Ecotournage, i accompagne les sociétés de production tout au long de leur transition. La société a été crée par Mathieu Delahousse, ancien régisseur, qui se rappelle, dans une interview pour le CNC :
« Il y a 20 ans, j’ai travaillé sur une publicité pour une marque de glaces. Nous sommes allés reconstruire un verger à plus de 3 000 mètres d’altitude en installant 200 arbres montés par hélicoptère… Je me souviens aussi de décors construits dans un studio pour un film se déroulant dans l’espace et qui avaient nécessité la fabrication de stations spatiales entières détruites à la fin du tournage, au grand dam du directeur du Musée de l’Air et de l’Espace du Bourget qui voulait les récupérer. »
A l’époque, il n’existait en effet pas encore de sociétés comme Fin de Déchets, qui collecte, tri et recycle les déchets de fin de tournage.
Dans son carnet de tendance médias, France Télévisions propose d’ailleurs une série d’interlocuteurs professionnels qui constituent un environnement propice à la transition énergétique des productions.
Penser l’écologie du Cinéma jusque dans les salles
Selon le CNC un tournage représente « bien un quart des émissions de l’industrie du Cinéma ». Cela laisse donc trois quarts au reste du processus de conception, de création, puis de diffusion des films. Parmi ces postes : les salles obscures, qui elles aussi effectuent leur transition écologique. Le groupe Cinéo, qui regroupe des exploitants privés indépendants, a par exemple adopté une charte écologique. Côté grands groupes également, l’enjeu écologique fait partie des préoccupations majeures. Dans le 15e arrondissement de Paris par exemple, le Pathé Beaugrenelle fait office de figure de proue du positionnement « premium » de certains cinémas du groupe en proposant notamment des technologies moins énergivores. La Fédération Nationale des Cinémas Français a d’ailleurs posé comme objectif la baisse de la consommation d’énergie des 6000 salles de France de 10% pour 2024.
© EMIC Paris – Marion Duchemin – 2 mars 2023