MaMa telerama

Retour sur le MaMa 2021 : Le streaming

Répartition de la valeur : Le streaming à la croisée des chemins

Avec le développement de la consommation de musique en streaming se pose la question du cadre dans lequel l’industrie du streaming opère. Plusieurs initiatives récentes, en particulier le rapport la commission d’enquête du Parlement britannique sur l’économie du streaming, ont braqué les projecteurs sur ce secteur qui est désormais le moteur de croissance de l’industrie de la musique, mais dont plusieurs voix, en France, outre-Manche et aux Etats-Unis questionnent la répartition de la valeur créée par le streaming.

Faut-il réguler le streaming ?

Ces question étaient au coeur de la session « Faut-il réguler le streaming ? », organisée par le MaMA 2021 le 14 octobre. « Est-ce que le partage des revenus du streaming est équitable? » se demandait Eric Baptiste, ancien PDG de la société d’auteurs Canadienne SOCAN et modérateur de cette session. « Est-ce que les services peuvent payer plus et quelle serait la meilleure répartition ? Certains souhaitent l’intervention des pouvoirs publics car le marché pourrait être de plus en plus déséquilibré et peut-être plus fragile, donc des voix se lèvent pour dire qu’il faut faire quelque chose. D’autres pays, comme le Canada, se posent la question a travers la notion de découvrabilité des contenus. »

Antoine Monin, directeur général par intérim et responsable de la musique pour la France et le Benelux chez Spotify et vice-président du Syndicat des Éditeurs de Service de Musique en Ligne, signalait que « peut-être que le sujet n’est pas tant de réguler le streaming, mais de revoir l’industrie de la musique dans son ensemble. »

Revoir le modèle global ?

« Notre business model repose sur l’économie du streaming et non sur une autre activité que nous pourrions financer, » poursuit-il. « Nous sommes au cœur de ces débats depuis longtemps. J’ai trouvé absolument passionnante l’enquête parlementaire ouverte en Angleterre qui selon moi montre la voie. »

Pour lui, il s’agit de savoir « jusqu’où pourra aller la croissance » du streaming, sachant que l’objectif des services en ligne est de créer de la valeur pour l’ensemble des parties prenantes du secteur de la musique. Certes, a souligné Naomi Pohl, secrétaire générale adjointe du syndicat Musicians’ Union, mais l’un des principaux enjeux autour du streaming « est la répartition des revenus. » Dans l’économie du streaming, soulignait-elle, les plateformes retiennent environ 30 % des revenus, les maisons de disque environ 55 % et les éditeurs se retrouvent avec environ 15 % à partager avec les auteurs et compositeurs. « Les accords plus modernes permettront au musicien d’aboutir à 30 % dans le meilleur des cas, » explique-t-elle. « Actuellement, les labels rémunèrent le streaming comme une vente alors que, selon nous, il s’agit davantage d’une diffusion. Il est possible qu’il faille créer un nouveau format. »

La question des métadonnées

Pour Naomi Pohl, un autre enjeu est celui des métadonnées. « Parfois, il ne peut pas y avoir de rémunération parce qu’on ne sait pas à qui reviennent les droits, » dit-elle. Cette vision était partagée par Jean-François Bert, directeur des opérations de Quansic, société spécialisée dans la data, pour qui « les métadonnées sont clés. »

« À partir du moment où l’on souhaite exploiter des œuvres, des enregistrements, cela se complique si on ne sait pas de quoi on parle, » dit JF Bert. « Comment peut-on faire pour payer les bonnes personnes si l’on ne sait pas qui sont les bons intervenants, les bons créateurs ? Comment créer une playlist si on ne sait pas faire le tri entre les artistes ou les œuvres ayant le même nom ? Il s’agit d’une strate assez invisible et peu connue, mais essentielle pour tous les services de qualité. Le challenge est de faire en sorte que les bonnes métadonnées soient au bon endroit, ce qui est assez compliqué. »

MaMa telerama

crédit : Télérama

Le streaming payant :  une implantation inégale selon les territoires

Cécile Rap Veber, co-directrice générale par intérim et directrice des Licences, de l’International et des Opérations de la société d’auteurs française SACEM, a noté que les sociétés de gestion collective ont mis plus de temps à profiter de la manne du streaming et que la crise du Covid a créé un processus d’accélération de l’utilisation du streaming qui a eu un impact direct sur les perceptions auprès des plateformes de streaming.

« Du point de vue du streaming, le retour des membres de la Sacem est que, bien qu’il ne soit pas encore suffisant, on commence à voir un progrès lié au taux de pénétration des services sur les différents territoires, » dit-elle, soulignant qu’il existe « encore une marge de progression », avec d’ici 2026, un marché « beaucoup plus mature ce qui est très encourageant. »

Dans des marchés émergents, comme l’Afrique, le Moyen-Orient ou l’Asia, le streaming commence à décoller mais on est loin de la maturité, comme le souligne Spek, fondateur et PDG de PopArabia, société basée à Dubai, ainsi que de la société de gestion collective ESMAA, et vice-président chargé de l’international et des marchés émergents de Réservoir. « Il faut imaginer que nous sommes encore en 2010 au Moyen-Orient et en Asie. Chaque marché est assez différent. Si l’on compare la situation aux États-Unis, en 2010, il a fallu attendre au moins quatre ou cinq ans avant que le streaming ne s’impose avec des consommateurs prêts à payer pour écouter de la musique. Nous n’avons pas encore atteint ce point, puisqu’on nous en sommes encore aux balbutiements. Nous commençons tout juste à avoir des personnes prêtes à payer pour du streaming, la reconnaissance n’est pas évidente à établir. »

Cependant, Spek est optimiste sur le futur du streaming dans ces régions. « Les trois à cinq prochaines années seront dédiées à l’évolution de la situation légale, maintenant qu’il existe une véritable économie autour du streaming. On a pu observer en Europe que le streaming constituait un moyen de générer des revenus, ce qui est précieux. On sait qu’on devrait pouvoir consommer de la musique et rémunérer les gens différemment. Il faudra toutefois attendre pour aboutir à un véritable impact sur l’industrie et son économie. »

La part du streaming gratuit

Le véritable problème, selon Cécile Rap Veber, c’est la trop grande part dans la consommation réalisée via l’offre gratuite des services de streaming somme Spotify ou de YouTube, et dont la rémunération est faible. « Les abonnements sont pour nous un système vertueux dont on espère qu’il augmentera ainsi que sa valeur » dit-elle. «  Néanmoins, que ce soit en France ou dans le monde, des milliards d’usages ne sont pas encore monétisés. La consommation gratuite, qui au départ apparaissait comme un élément essentiel de promotion, devient un élément essentiel de consommation. » Or, dit-elle, il n’est pas possible de gagner de l’argent sur ces contenus, car la monétisation de cette offre reste très limitée.

Pour Cécile Rap Veber, « un travail formidable a été fait en Europe pour les ayants-droit, notamment par rapport aux États-Unis. La France a été très active sur ce combat. Il commence à y avoir des obligations pour les plateformes qui n’existaient pas auparavant, ce qui permet d’avoir des contrats plus équilibrés. Le problème étant l’assiette. Une meilleure monétisation est nécessaire. »

Cette vision est partagée par Naomi Pohl, qui constate que des plateformes comme YouTube « faussent le marché » car les utilisateurs de YouTube, ainsi que la plateforme, « ne paient pas de droits de licence. » Cette question devrait être réglée par la mise en place de l’article 17 de la directive sur le droit d’auteur de la Commission Européenne, mais Naomi Pohl regrette que cela s’applique pas en Grande-Bretagne, maintenant que le pays a quitté l’Union Européenne.

Un débat qu’il est utile d’ouvrir

Naomi Pohl se félicite toutefois que toutes ces question soient désormais sur la place publique. « Nous avons eu un débat majeur sur la réglementation et l’industrie de la musique au Royaume-Uni. Les questions de streaming sont une affaire publique. Pour l’instant, les labels prennent la plus grande part des revenus, il faut donc plus de justesse dans la distribution [des revenus]. »

Pour Antoine Monin, le streaming a participé à la création de valeur dans le secteur de la musique, mais « il faudra revoir la manière dont se répartit cette valeur dans la chaîne. Serons-nous sur le même business model qu’il y a 20 ans, ou bien faudra-t-il revoir les pratiques parce que le business model et les usages changent ? Il s’agit d’ouvrir la discussion à l’ensemble de la chaîne des ayants-droit. Le sujet de la répartition de la valeur est essentiel. »