
Retour sur le MaMa 2021 : La place des femmes dans l’industrie
La place des femmes dans l’industrie musicale
La place des femmes dans l’industrie musicale a été un des principaux sujets de débat lors du MaMA 2021, avec plusieurs sessions consacrées aux questions de la proportion de femmes parmi les cadres dirigeants des entreprises du secteur, le parité salariale, ou encore la création de culture d’entreprise non-toxique et ou les femmes peuvent s’épanouir professionnellement.
« L’égalité des genres va dans l’intérêt de tous, notamment d’un point de vue économique », soulignait Frances Moore, directrice générale de la Fédération internationale de l’industrie phonographique (IFPI), qui regroupe au niveau mondial les principales maisons de disque, lors de la session intitulée « Comment faire grandir plus vite et aller plus haut les femmes dans les entreprises de la musique enregistrée ? ».
France Moore estime toutefois qu’il y a « encore beaucoup de travail pour atteindre la parité de façon globale ». Elle a rappelé que lorsqu’elle a rejoint l’industrie de la musique, cette dernière était « un bon miroir de la société dans son ensemble, à savoir des hommes à des postes de direction et des femmes assurant le rôle de subordonnées ».
Toutefois, ajoute-elle, « l’accélération a été formidable ces dernières années, notamment de par l’implication des femmes aux niveaux supérieurs de la hiérarchie. Cette ascension a en partie été permise par des messages venus d’en haut. Des patrons de labels ont eu à cœur d’introduire de la diversité au sein de leur société. Cela a permis à ces messages de se propager dans l’ensemble des structures et d’être des catalyseurs du changement ».
Objectif : tolérance zéro
France Moore est aussi en faveur de ce que les entreprises du secteur se fixent un objectif de « tolérance zéro pour le harcèlement dans l’industrie pour que les femmes et les personnes issues de la diversité se sentent à l’aise dans les entreprises ».
Cette thématique a été reprise par les autres intervenantes sur ce débat. « Tout le monde ne se fait pas violer, mais tout le monde a vécu des situations sexistes », indiquait Natacha Krantz, directrice de la communication d’Universal Music France et présidente d’All Access Musique. « Il s’agit donc de créer un environnement favorable. Lutter contre le sexisme est la base pour créer une politique de promotion des femmes et doit reposer sur une volonté globale. Le secteur musical est plutôt un secteur paritaire. Nous en sommes désormais à 50 % de manageuses, contre 33 % il n’y a pas si longtemps, mais il nous faut encore cibler les fonctions de direction. »
L’enjeu de la formation
Pour Natacha Krantz, un gros travail de formation doit être fait pour permettre les femmes les moyens de développer leurs carrières. « Nous devons former, donner de l’attention aux jeunes femmes afin qu’elles soient les manageuses et directrices de demain », dit-elle, soulignant que All Access Musique avait lancé une première enquête sur la place des femmes dans la musique en France, à partir d’un questionnaire réalisé par Accordia et envoyé à tous les labels de France et aux maisons de disques.
« Nous avons reçu les réponses de trois majors et 68 producteurs indépendants », explique Natacha Krantz. « Cela donne un total de 1 332 salariés, ce qui nous permet d’avoir un échantillon représentatif de professionnels de la musique. Nous sommes en train de traiter ce questionnaire, ce qui va nous permettre d’analyser la présence et l’évolution des femmes à des postes de responsabilité, d’identifier la répartition des emplois et de mesurer les écarts de rémunération. Il s’agira d’un baromètre complet que nous avons décidé de compléter par un aspect de perception, au-delà du quantitatif. Il existe un certain déni, d’où la nécessité de travailler sur la perception des salariés. Nous ne nous substituons jamais aux entreprises, mais nous sommes là pour les aider à s’organiser. »
Changer la culture d’entreprise
Kelly Middleton, directrice des ressources humaines pour la zone Europe, Moyen-Orient et Afrique chez Warner Music Group, a expliqué quelle mesures une société comme Warner pouvait mettre en place pour changer la culture d’entreprise. La première pierre consiste simplement à publier les chiffres sur la parité. « Nous ne pouvons y échapper et devons donc prendre des engagements pour remédier au problème quand les chiffres ne sont pas bons », dit-elle.
La seconde est de dérouler une stratégie cohérente au niveau global, tout en respectant les législations locales. « L’objectif est que les salariés de Warner voyageant d’un pays à un autre puissent vivre sensiblement la même expérience partout, même si notre politique ne peut pas être absolument la même. Nous souhaitons que les gens aient envie de travailler chez Warner et qu’ils y restent. »
Une autre recommandation exprimée par Kelly Middleton est d’être à l’écoute de ses salariés. « Nous réunissons nos salariés par groupes de manière régulière afin de proposer des idées. Nous avons observé que nous perdions des talents lorsque les femmes souhaitaient fonder une famille », dit-elle. « Nous avons donc rendu nos espaces de travail plus accueillants pour les familles. Nous souhaitons également permettre aux pères de prendre les mêmes congés parentaux que les femmes. »
En Grande-Bretagne, la société a été confrontée à un certain nombre d’incidents à Londres, aussi Warner Music UK a du trouver une solution pour que les femmes puissent évoluer en toute sécurité dans l’espace public la nuit. « Notre « safe travel policy » permet aux salariées qui travaillent tard de prendre un taxi pour rentrer chez elles ou rejoindre certaines infrastructures. Pendant la pandémie, nous avons également permis à nos salariés qui devaient assister d’autres personnes, notamment des personnes en situation de fragilité, de bénéficier de dix jours disponibles immédiatement en cas d’urgence. Nous n’aurions pas pu mettre en place ce type d’initiative sans ces groupes de discussion qui préconisent ces solutions pour les employés, par les employés. »
Des ambitions qui évoluent
Pour Élodie Bensoussan, vice-présidente chargée du marketing international pour la zone Europe et Afrique chez Sony Music Entertainment, la question de la qualification professionnelle et de l’ambition des femmes a évolué, ce qui permet davantage d’opportunités pour les femmes. « Les femmes ont tendance à devoir être davantage préparées que les hommes », explique-t-elle. « C’est quelque chose que j’ai vécu et que, je pense, nous avons toutes vécu dans l’industrie. Un plafond de verre très solide au-dessus de nos têtes a fait que nous devions travailler plus pour être remarquées, pour évoluer, et ce, sans nécessairement être gratifiées à la hauteur de nos efforts. »
Pour autant, poursuit-elle, il y a eu une évolution de la situation : « Nous vivons une période absolument fantastique pour les femmes et qui promet de beaux lendemains. L’héritage de ce management pèse encore et les comportements, la confiance en soi vont mettre du temps à évoluer. En revanche, les possibilités sont de plus en plus nombreuses et il y a de la place. Il s’agit de se faire confiance et de saisir ces opportunités. »
Cette vision est partagée par Frances Moore, qui estime qui le rapport à l’ambition a changé. « Il y a quelques années, dire d’une femme qu’elle était ambitieuse avait une connotation négative, et visait à laisser entendre qu’elle était trop directive », soutient-elle. « Les choses évoluent aujourd’hui, mais ce type d’héritage vient d’un conditionnement qu’il est difficile de bouleverser du jour au lendemain. Nous avons été habitués pendant des années à voir des hommes à des postes de responsabilité. Dans son livre intitulé, « En avant toutes », Sheryl Sandberg estime qu’on peut modifier le narratif et le paradigme dans lequel nous nous trouvons pour transformer certains termes qui avaient avec une connotation négative. Ainsi, une petite fille qu’on aurait qualifiée de « directive » dans le passé, serait décrite aujourd’hui comme ayant des « capacités de leadership ». »
« L’ambition n’a jamais été un gros mot, chacun doit être ambitieux à la hauteur de ce qu’il souhaite », estime Élodie Bensoussan. « La comparaison peut être utile, je suis pour autant intimement convaincue que chacun doit vivre son histoire et sa carrière de manière personnelle. Son ambition appartient à chacun et vouloir faire comme le voisin, ou se contraindre à l’ambition n’a aucune valeur. Il ne s’agit pas de poursuivre un titre à un âge précis, mais de viser les échelons qui nous permettent d’accomplir ce que l’on souhaite accomplir. J’encourage chacun à ne pas subir la pression sociale. Ne nous comparons pas systématiquement aux autres, mais vivons chacun pour nous. »